La résolution
L’idée a mijoté avec une lenteur extrême, à ce petit feu qui flamboyait au fond de mon âme et dont tantôt l’incandescence me piquait sous l’impulsion de ma belle-mère et tantôt revenait croupir dans un coin où j’ai si peu trébuché. Pour être tout à fait franche, je dois reconnaître d’abord que je ne voyais pas l’utilité de visiter un pays auquel j’appartiens certes mais que je ne connais pas. Quel changement ce voyage pouvait-il induire pour moi ou pour quelqu’un d’autre ? En deuxième lieu, je redoutais de me trouver face aux Israéliens avec leur population, leur armée, leurs check-points, leurs armes et leur occupation. Troisièmement, j’avais peur de moi-même. Qu’adviendrait-il si mon sentiment venait à changer ? Si je n’éprouvais aucun sentiment d’appartenance à ce pays ? Si je ne l’appréciais pas ? J’avoue que la peur s’est emparée de moi, avec aussi un sentiment de culpabilité. Pourquoi maintenant ? Est-ce l’âge ou la maturité ? Le retour aux racines ? Je crois que j’avais besoin de briser en moi-même la barrière de la peur, d’assumer mon droit au retour ne serait-ce que provisoirement, brièvement. J’ai pris ma décision après avoir rencontré Imène du Fonds de secours aux enfants palestiniens, ce mercredi 22 février 2012. Elle m’a appris qu’un groupe de femmes allait se rendre en Palestine en mars et m’a demandé de me joindre à elles. Oui. Je le désirais. Mais en fin de compte, je m’y suis rendue toute seule. Dommage que je n’aie pas pu les rencontrer en Palestine. J’aurais bien aimé rencontrer ces femmes qui m’avaient l’air très intéressantes, pourtant je suis heureuse d’avoir fait le voyage toute seule.
Je franchirai ce pont
Le point de passage sur le pont du roi Hussein, dit pont Allenby, n’était qu’une salle rectangulaire, un guichet avec de nombreuses fenêtres. Devant l’entrée, il y avait peut-être cinq fonctionnaires du service de l’émigration, les uns debout, les autres assis. Il y avait une couchette pour quatre, où cinq personnes étaient assises à regarder la TV, à nous regarder les regarder. Si je ne m’abuse, c’était l’office du tourisme. A l’angle d’en face, il y avait des chaises disposées en rectangle. Cela faisait penser à une salle d’attente ayant vue sur une cafétéria où on servait des repas légers peu appétissants.
Mon passeport que j’ai présenté au guichet le plus proche est passé d’une main à une autre avec calme, avec professionnalisme. Je l’ai suivi de l’autre côté de la vitre, dans son va-et-vient d’un guichet à l’autre jusqu’à ce que je l’aie perdu de vue. Je me suis informée et j’ai compris que j’avais obtenu l’autorisation de voyager et que mon passeport allait rester aux mains de l’officier jusqu’à ce que je monte dans le car. J’ai réalisé par la suite qu’ils avaient apposé leur tampon sur une fiche et non pas sur mon passeport.
Ainsi donc, j’étais là, moi, la Palestinienne, la Libyenne de naissance, la canadienne de nationalité. J’attendais le car pour me rendre dans mon pays, la Palestine, en visiteuse. J’entrais en Palestine en traversant le pont à partir d’un pays arabe et non pas, par exemple, par l’aéroport de Ben Gourion. Un tampon suffisait pour me dénoncer : je me suis rendue en Israël et cela m’interdisait de revenir dans le pays où je vis. Cela était traité comme une normalisation. Comment donc visiter mon pays et par où m’y rendre ?
Je suis sortie de la salle d’attente, pour attendre à l’air libre. J’étais heureuse d’avoir quelques parents avec moi. Nous avons attendu, très longuement attendu. D’autres personnes attendaient aussi : des Arabes, des Palestiniens, des touristes… avec moi qui étais tout cela à la fois. Le car arrivera dans dix minutes, nous a-t-on dit à maintes reprises.
Le car est arrivé après près de 150 minutes. Je suis montée avec ma valise, mon passeport, ma fiche, les palpitations de mon cœur et mon stress. Et nous voilà partis.
L’autre bord
Il y avait dix personnes à bord du petit car. Je me suis débarrassée de mon stress, car il n’y avait plus rien d’autre dans ma vie que cet instant présent. Maintenant, tout est réel et surréaliste en même temps. Je me suis assise dans le sens inverse de la route. J’ai eu envie de parler à l’homme assis à côté de moi et à celui qui était en face. J’ai voulu leur demander ce à quoi je pouvais m’attendre, mais je ne voulais pas leur préciser que c’était ma première visite : je commençais à éprouver quelque gêne devant cette vérité.
« Si vous voulez vous rendre dans plusieurs villes, ne le leur dites pas », me conseilla l’homme en face de moi. Je me suis assurée qu’il y avait de l’eau sous le pont que nous traversions (il n’y en avait pas auparavant, avant qu’on l’ait vraiment franchi.)
· Est-ce bien cela ? ai-je demandé, « oui » m’a-t-on répondu.
D’autres étaient arrivés avant nous. Ils étaient debout comme une seule masse humaine. Tout un groupe avec ses valises qui s’est peu à peu transformé en file. Nous nous sommes joints à eux lorsqu’on nous a permis de descendre du car.
Il y avait à ma gauche quelques soldats de l’armée israélienne. Pulls en laine bleus, gilets pare-balles et pantalons en treillis. Est-ce la séquence d’un film ? C’était un homme adulte avec un jeune homme et une jeune fille, de vrais adolescents. Leurs mitraillettes pendouillaient de l’épaule jusqu’en bas des genoux. Ils devaient sans doute faire des efforts pour se retenir de tirer.
La masse humaine affluait lentement, chaque fois que les officiers israéliens nous permettaient de traverser la petite barrière par petits groupes. Devant moi, un homme se plaignait de ne pas avoir de bagages du tout, parce qu’il venait pour une seule journée. Pour plaisanter, je lui ai proposé de prendre une de mes valises (je n’avais pas remarqué qu’il y avait des caméras partout et j’avais oublié qu’une telle blague n’était nullement drôle dans des circonstances pareilles). Nous nous sommes approchés d’une guérite où était assis un officier du service d’émigration. Il a examiné mes documents rapidement, mais avec une attention évidente. Nos bagages sont passés à travers le détecteur de métaux, puis nous aussi. J’avais pris au préalable quelques précautions, comme de ne pas mettre de bijoux ni de ceinture et j’avais mis toutes les pièces de monnaie ainsi que mon téléphone portable dans mon sac à main. J’ai vite franchi la première étape. Les valises n’ont pas été fouillées. Quelques personnes ont été interpellées et leurs valises fouillées. Un fonctionnaire israélien m’a surpris avec un sourire dragueur. Il ne s’est pas imaginé un instant que je pouvais être palestinienne. Je me suis souvenu de passages d’un poème de Mahmoud Darwich : « Il est calme ; moi aussi / Il sirote un thé au citron / Alors que je bois un café / C’est la seule différence entre nous / Il ne me voit pas quand je le regarde en cachette / Je ne le vois pas quand il me regarde en cachette / Je ne lui dis pas : aujourd’hui le ciel est dégagé / Et plus bleu / Il ne me dit pas : aujourd’hui le ciel est dégagé / Je fredonne l’air d’une chanson / Il fredonne l’air d’une chanson semblable / Serait-il un miroir où je me vois ? ai-je pensé / Je cherche ses yeux / Mais je ne le vois pas / Alors je quitte le café en toute hâte / C’est peut-être l’assassin, ai-je pensé ou alors / Un passant qui me prend pour l’assassin / Il a peur ; moi aussi »
Je ne lui ai pas rendu son sourire. J’ai pris mes bagages et me suis dirigée vers le fonctionnaire du service d’émigration.
Des aiguilles sous leurs nez
De grâce ne tamponnez pas mon passeport, ai-je demandé. Ma requête avait sans doute l’air d’un ordre. C’est pourquoi l’officier de l’émigration m’a demandé sur un ton de défi : et pourquoi donc ? Puis très vite le reste des questions est venu. « Le motif de votre voyage ? », « Est-ce la première fois ? », « Vous êtes seule ? ». « Oui, ai-je répondu, je suis seule. » « Alors avec qui parliez-vous tout à l’heure ? »
Oui, bien sûr. Il y avait des caméras et des microphones partout. « Nous étions ensemble dans la file, alors nous avons parlé. » « Et où vous rendez-vous ? », « Juste à Jérusalem ? » « Où descendez-vous ? » « A qui rendez-vous visite ? » « Comment s’appellent-ils ? » « Leurs numéros de téléphone ? » « Répétez le numéro 456 ? » « Encore une fois. » «Remplissez ce formulaire ». « On viendra vous chercher. »
Je remplis le formulaire. Ignorant ses instructions, je reviens la voir : « voici, c’est terminé. » « Non, vous devez vous asseoir et patienter là. »
Je m’assois, je patiente.
Dix minutes plus tard. Un homme s’approche de moi. Il a les traits sérieux ; il essaie de paraître amical. « Quel est le motif de votre visite ? » « Est-ce le premier voyage ? » « Seule ? » « Où habitez-vous ? » « A qui rendez-vous visite ? »
· La maison de mon beau père.
« Oui, seule et vous allez chez votre beau-père ? » Je réfléchis : y a-t-il une loi qui interdit de se rendre chez son beau-père sans être accompagnée par le mari ou est-ce une sottise que d’entreprendre une telle visite ? « Donc, vous allez seule chez votre beau-père ». « Oui ». « Où est votre mari ? » « Bien. Attendez ici ».
J’attends.
Dix minutes plus tard. « Que faites-vous dans la vie ? » « Est-ce votre société ? » « Où habitez-vous ? » « Depuis quand ? » « Est-ce bien votre email ? » « Epelez l’adresse. » « Bien. Attendez ici. »
Dix minutes plus tard. Une fonctionnaire s’approche de moi. C’est elle qui organise la file des arrivants. Venez avec moi, ordonna-t-elle. – On m’a demandé d’attendre ici. –Non venez avec moi. – Peut-être qu’il va revenir et il ne va pas me retrouver ici. Elle a commencé à perdre ses nerfs. C’est mon travail et je sais ce que je fais. Venez avec moi. Je l’ai suivie. Elle m’a conduite dans une grande salle où il y avait de nombreuses chaises. Il y avait des personnes assises, d’autres debout. Ils étaient tendus et ils attendaient.
Attendez ici, demanda-t-elle.
J’attends.
Je sors la laine et les aiguilles de mon sac à main. Je me mets à faire du crochet. Je n’ai rien à cacher, mais je suis stressée. Le tricot m’aide à paraître insoucieuse et calme. Sûr que mes parents et mes proches commencent à s’inquiéter.
J’attends, je m’occupe à faire du crochet.
Dix minutes plus tard. L’homme revient vers moi. « Comment s’appelle votre mari ? ». « Connaissez-vous le nom de son père ? » « Quand est-ce qu’il est né ? ». – « son père ? ai-je demandé avec malice. » - « Non, non, votre mari. » « Est-ce qu’il vivait à Jérusalem ? » « Très bien, attendez ici. »
J’attends, je m’occupe à faire du crochet.
Dix. Vingt minutes.
« Fawdha ! 1» On dirait que c’est moi que l’officier du service d’émigration appelle. Oui, oui ai-je répondu. Fawdha c’est moi. Je me dirige vers la sortie. Je passe près d’un vieux Palestinien qui attend de terminer les formalités d’entrée. Je lui demande où se trouve la sortie. De l’index, il me désigna la sortie à près de deux mètres de lui en murmurant : Puisse Dieu vous protéger, ma fille. Puisse-t-il vous guider et vous assister.
Je franchis une barrière en plastique. Je suis arrivée. Voici Jérusalem. C’est une journée chaude et poussiéreuse. Il est six heures et demie de l’après-midi. Je balance mon sac derrière moi et donne libre cours à mes larmes.
Le tourisme n’est pas un choix
On ne peut pas venir à Jérusalem les yeux, l’esprit ou le cœur fermés, sinon il vaut mieux se rendre en Grèce. Ici, à Jérusalem, il y a des murs, des murs énormes au vrai sens du mot. Des murs énormes qui séparent, isolent, emprisonnent, créent un nouveau statu quo dans la vie des Palestiniens, instable et changeant. Oui, oui, le mur. On connaît l’histoire, sauf que ce n’est pas un mur mais des murs dont on ne comprend combien ils imposent leur présence que dès lors qu’on s’est tenu en dessous, devant, dès lors qu’on les a touchés, fleurés, vus d’en haut et d’en bas. Des murs énormes, illégaux selon la loi internationale.
A peine descendue du car des tournées politiques, je me suis trouvée face à l’un de ces murs. Le voici. Un haut mur, en béton, étouffant, empoignant les quartiers et les villages. Il est surmonté de fils barbelés qui percent le ciel et qui vous brûlent les poignées comme des menottes. Si l’on se réveille un jour et qu’on se trouve à l’intérieur du mur, on doit y rester. On découvre alors qu’on a besoin d’autorisations du gouvernement israélien, des autorisations difficiles à obtenir. L’on mène alors une vie dominée par un béton implanté de force sur notre terre, celle de nos aïeux, sur une terre que la plus grande majorité de l’humanité considère comme sacrée.
Il y a aussi les murs qui entourent les camps des réfugiés palestiniens, par exemple celui de Shuafat. Ce sont des camps en Palestine où vivent des réfugiés palestiniens. Ils sont au nombre de dix-neuf à peu près. Oui, dix-neuf. Dans sa marche implacable, le mur peut devenir une partie de votre maison même. Si votre maison se trouve sur son parcours, le gouvernement israélien vous offre généreusement deux possibilités : soit que vous détruisiez, à vos propres frais, votre maison qui est souvent celle de la famille depuis des lustres, soit que votre maison devienne une partie du mur avec des grilles sur les fenêtres à jamais fermées. Votre voisin se retrouve soudain plus loin que la surface de la lune. Votre lot peut être pire… Il m’est arrivé de visiter Oum Nabil et Oum Mahmoud. La première est âgée, la seconde d’un âge mûr. Elles passent le plus clair de leurs journées assises sur des chaises en plastique blanches dans la cour derrière l’entrée, entourées de leurs amies. Ces femmes s’assoient avec, derrière elles, une petite maison à un étage et devant elles une maison à deux étages. La maison de derrière appartenait à la famille de Oum Nabil, la maison de devant à celle de Oum Mahmoud. Du trottoir où je me trouvais, j’ai pu apercevoir au premier étage deux enfants entre quatre et cinq ans. Leurs pieds se balançaient à travers les grilles de la fenêtre. Une voiture s’engouffra dans la rue et s’arrêta devant l’entrée de la maison. Deux Israéliens descendirent. Ils nous ignorèrent. Ils parlèrent puis se saluèrent. L’un d’eux entra dans la maison d’Oum Mahmoud, réquisitionnée par le gouvernement israélien pour être donnée à une famille juive venue d’Europe, d’une lignée qui, vraisemblablement, n’avait aucune attache historique ou morale avec la Palestine et encore moins avec ce quartier, cette avenue, cette maison.
Je serai là où j’étais
C’est comme si je me promenais en deux endroits en même temps. J’ai le sentiment que tout est normal et en même temps que tout est absolument anormal.
Inspiration : j’entends un accent palestinien familier.
Expiration : je vois des appelés israéliens, ce sont des adolescents qui se promènent avec leurs mitraillettes dans les rues et les places publiques et qui sont en faction devant les mosquées.
Inspiration : je vois un enseignant palestinien entouré de ses petits élèves, il leur parle de l’histoire de la ville antique de Jérusalem.
Expiration : je vois un enseignant israélien entouré de ses petits élèves. Je ne sais pas de quoi il leur parle, mais à considérer ce que disent les agences touristiques israéliennes sur Internet, il doit leur raconter la version israélienne de l’histoire de la ville.
Inspiration : moi, la Palestinienne, je parcours ces rues comme une étrangère.
Expiration : eux, qui sont étrangers à ces rues, y sont implantés comme s’ils étaient les habitants originels.
Inspiration : j’ai été pillée.
Expiration : j’ai été pillée.
Je suis née dans un pays. Je suis allée continuellement d’un pays à un autre. J’ai voulu me fourrer dans le moule de diverses identités nationales. Elles m’ont assez bien accueillie, mais elles ont crée en moi un sentiment d’appartenance contradictoire. Je n’avais pas à gaspiller la plus grande part de ma vie à chercher une identité ou une appartenance qui m’accepterait. Mon identité aurait dû être une chose allant de soi, comme pour n’importe quelle personne d’autre.
J’aurais dû naître ici. Respirer cet air qui porte la mémoire de mes ancêtres et leurs secrets. Faire mes premiers pas sur ce sol dont les oliviers se nourrissent de leurs dépouilles. J’aurais dû avoir une enfance normale, ici. Cette terre aurait dû être mon terrain de jeu. Ces rochers auraient dû écorcher les genoux de l’enfant terrible que j’étais.
La source de mes souvenirs avec mon amie intime aurait dû jaillir ici.
J’aurais dû avoir mon premier baiser ici.
C’est ici que mon cœur aurait dû se briser pour la première fois.
Me voici palestinienne
Je suis née. Et je me suis trouvée palestinienne. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai tâtonné pour trouver mon chemin grâce aux débris du mot « palestinien ». Ce qui m’a toujours fait le plus peur dans mes voyages, c’est la question de mon appartenance.
J’ai pleuré en arrivant à Jérusalem. J’ai pleuré en visitant Naplouse.
J’ai pleuré à la mosquée du dôme du Rocher, à l’église de la Nativité, au monastère de Puits de Jacob.
J’ai pleuré aux points de passage et près des trous dans les murs.
J’ai ramené avec moi une poignée de terre de Jaffa et j’ai gravé mon nom sur le sable. Je me suis promenée à Ramallah sous la pluie…
Je me suis laissée aller à tous les clichés dans ma quête, ma quête d’une appartenance qui voudrait bien de moi.
Mais mon appartenance, je l’ai trouvée ailleurs.
Elle n’est pas sur terre ni dans le sol, car cela demanderait beaucoup de temps, des souvenirs, une histoire personnelle vécue de manière directe que je m’emploierai à construire pierre par pierre, l’âme nue.
Mon appartenance m’attend patiemment depuis que je suis née. Elle attend que je parvienne jusqu’à elle, que je la voie, elle qui irradie dans les yeux des gens de ce pays et de cette terre.
Elle est dans l’accueil chaleureux de ma belle-famille. L’affection de mes cousines. L’accueil de mes grand-tantes maternelle et paternelle et de mes petits cousins. Le chauffeur de bus Abou Samir. Le chauffeur de taxi, Fadi. Les murmures du vieil homme qui m’a protégée par ses prières quand on m’a permis d’entrer à Jérusalem. L’homme qui s’est enquis de moi quand il m’a vue pleurer à la sortie du point de passage. Dans la rencontre plus qu’extraordinaire avec les écrivains, les critiques, les intellectuels, les lecteurs et les merveilleux libraires de Jérusalem Est, dans l’intelligence de l’entretien et dans la transparente profondeur des questions.
Elle est dans le bracelet en bambou aux couleurs palestiniennes dont le propriétaire m’a fait cadeau car il a vu qu’il me plaisait.
Vous êtes la plus belle appartenance. Mon amour pour vous est mon appartenance. Je suis née de l’incandescence de votre humanité à tous pour me trouver palestinienne. Mais aujourd’hui, j’ai choisi d’être palestinienne.
(Merci a Jalel El Gharbi for the translation)
Photos: Fadwa Al Qasem
L’idée a mijoté avec une lenteur extrême, à ce petit feu qui flamboyait au fond de mon âme et dont tantôt l’incandescence me piquait sous l’impulsion de ma belle-mère et tantôt revenait croupir dans un coin où j’ai si peu trébuché. Pour être tout à fait franche, je dois reconnaître d’abord que je ne voyais pas l’utilité de visiter un pays auquel j’appartiens certes mais que je ne connais pas. Quel changement ce voyage pouvait-il induire pour moi ou pour quelqu’un d’autre ? En deuxième lieu, je redoutais de me trouver face aux Israéliens avec leur population, leur armée, leurs check-points, leurs armes et leur occupation. Troisièmement, j’avais peur de moi-même. Qu’adviendrait-il si mon sentiment venait à changer ? Si je n’éprouvais aucun sentiment d’appartenance à ce pays ? Si je ne l’appréciais pas ? J’avoue que la peur s’est emparée de moi, avec aussi un sentiment de culpabilité. Pourquoi maintenant ? Est-ce l’âge ou la maturité ? Le retour aux racines ? Je crois que j’avais besoin de briser en moi-même la barrière de la peur, d’assumer mon droit au retour ne serait-ce que provisoirement, brièvement. J’ai pris ma décision après avoir rencontré Imène du Fonds de secours aux enfants palestiniens, ce mercredi 22 février 2012. Elle m’a appris qu’un groupe de femmes allait se rendre en Palestine en mars et m’a demandé de me joindre à elles. Oui. Je le désirais. Mais en fin de compte, je m’y suis rendue toute seule. Dommage que je n’aie pas pu les rencontrer en Palestine. J’aurais bien aimé rencontrer ces femmes qui m’avaient l’air très intéressantes, pourtant je suis heureuse d’avoir fait le voyage toute seule.
Je franchirai ce pont
Le point de passage sur le pont du roi Hussein, dit pont Allenby, n’était qu’une salle rectangulaire, un guichet avec de nombreuses fenêtres. Devant l’entrée, il y avait peut-être cinq fonctionnaires du service de l’émigration, les uns debout, les autres assis. Il y avait une couchette pour quatre, où cinq personnes étaient assises à regarder la TV, à nous regarder les regarder. Si je ne m’abuse, c’était l’office du tourisme. A l’angle d’en face, il y avait des chaises disposées en rectangle. Cela faisait penser à une salle d’attente ayant vue sur une cafétéria où on servait des repas légers peu appétissants.
Mon passeport que j’ai présenté au guichet le plus proche est passé d’une main à une autre avec calme, avec professionnalisme. Je l’ai suivi de l’autre côté de la vitre, dans son va-et-vient d’un guichet à l’autre jusqu’à ce que je l’aie perdu de vue. Je me suis informée et j’ai compris que j’avais obtenu l’autorisation de voyager et que mon passeport allait rester aux mains de l’officier jusqu’à ce que je monte dans le car. J’ai réalisé par la suite qu’ils avaient apposé leur tampon sur une fiche et non pas sur mon passeport.
Ainsi donc, j’étais là, moi, la Palestinienne, la Libyenne de naissance, la canadienne de nationalité. J’attendais le car pour me rendre dans mon pays, la Palestine, en visiteuse. J’entrais en Palestine en traversant le pont à partir d’un pays arabe et non pas, par exemple, par l’aéroport de Ben Gourion. Un tampon suffisait pour me dénoncer : je me suis rendue en Israël et cela m’interdisait de revenir dans le pays où je vis. Cela était traité comme une normalisation. Comment donc visiter mon pays et par où m’y rendre ?
Je suis sortie de la salle d’attente, pour attendre à l’air libre. J’étais heureuse d’avoir quelques parents avec moi. Nous avons attendu, très longuement attendu. D’autres personnes attendaient aussi : des Arabes, des Palestiniens, des touristes… avec moi qui étais tout cela à la fois. Le car arrivera dans dix minutes, nous a-t-on dit à maintes reprises.
Le car est arrivé après près de 150 minutes. Je suis montée avec ma valise, mon passeport, ma fiche, les palpitations de mon cœur et mon stress. Et nous voilà partis.
L’autre bord
Il y avait dix personnes à bord du petit car. Je me suis débarrassée de mon stress, car il n’y avait plus rien d’autre dans ma vie que cet instant présent. Maintenant, tout est réel et surréaliste en même temps. Je me suis assise dans le sens inverse de la route. J’ai eu envie de parler à l’homme assis à côté de moi et à celui qui était en face. J’ai voulu leur demander ce à quoi je pouvais m’attendre, mais je ne voulais pas leur préciser que c’était ma première visite : je commençais à éprouver quelque gêne devant cette vérité.
« Si vous voulez vous rendre dans plusieurs villes, ne le leur dites pas », me conseilla l’homme en face de moi. Je me suis assurée qu’il y avait de l’eau sous le pont que nous traversions (il n’y en avait pas auparavant, avant qu’on l’ait vraiment franchi.)
· Est-ce bien cela ? ai-je demandé, « oui » m’a-t-on répondu.
D’autres étaient arrivés avant nous. Ils étaient debout comme une seule masse humaine. Tout un groupe avec ses valises qui s’est peu à peu transformé en file. Nous nous sommes joints à eux lorsqu’on nous a permis de descendre du car.
Il y avait à ma gauche quelques soldats de l’armée israélienne. Pulls en laine bleus, gilets pare-balles et pantalons en treillis. Est-ce la séquence d’un film ? C’était un homme adulte avec un jeune homme et une jeune fille, de vrais adolescents. Leurs mitraillettes pendouillaient de l’épaule jusqu’en bas des genoux. Ils devaient sans doute faire des efforts pour se retenir de tirer.
La masse humaine affluait lentement, chaque fois que les officiers israéliens nous permettaient de traverser la petite barrière par petits groupes. Devant moi, un homme se plaignait de ne pas avoir de bagages du tout, parce qu’il venait pour une seule journée. Pour plaisanter, je lui ai proposé de prendre une de mes valises (je n’avais pas remarqué qu’il y avait des caméras partout et j’avais oublié qu’une telle blague n’était nullement drôle dans des circonstances pareilles). Nous nous sommes approchés d’une guérite où était assis un officier du service d’émigration. Il a examiné mes documents rapidement, mais avec une attention évidente. Nos bagages sont passés à travers le détecteur de métaux, puis nous aussi. J’avais pris au préalable quelques précautions, comme de ne pas mettre de bijoux ni de ceinture et j’avais mis toutes les pièces de monnaie ainsi que mon téléphone portable dans mon sac à main. J’ai vite franchi la première étape. Les valises n’ont pas été fouillées. Quelques personnes ont été interpellées et leurs valises fouillées. Un fonctionnaire israélien m’a surpris avec un sourire dragueur. Il ne s’est pas imaginé un instant que je pouvais être palestinienne. Je me suis souvenu de passages d’un poème de Mahmoud Darwich : « Il est calme ; moi aussi / Il sirote un thé au citron / Alors que je bois un café / C’est la seule différence entre nous / Il ne me voit pas quand je le regarde en cachette / Je ne le vois pas quand il me regarde en cachette / Je ne lui dis pas : aujourd’hui le ciel est dégagé / Et plus bleu / Il ne me dit pas : aujourd’hui le ciel est dégagé / Je fredonne l’air d’une chanson / Il fredonne l’air d’une chanson semblable / Serait-il un miroir où je me vois ? ai-je pensé / Je cherche ses yeux / Mais je ne le vois pas / Alors je quitte le café en toute hâte / C’est peut-être l’assassin, ai-je pensé ou alors / Un passant qui me prend pour l’assassin / Il a peur ; moi aussi »
Je ne lui ai pas rendu son sourire. J’ai pris mes bagages et me suis dirigée vers le fonctionnaire du service d’émigration.
Des aiguilles sous leurs nez
De grâce ne tamponnez pas mon passeport, ai-je demandé. Ma requête avait sans doute l’air d’un ordre. C’est pourquoi l’officier de l’émigration m’a demandé sur un ton de défi : et pourquoi donc ? Puis très vite le reste des questions est venu. « Le motif de votre voyage ? », « Est-ce la première fois ? », « Vous êtes seule ? ». « Oui, ai-je répondu, je suis seule. » « Alors avec qui parliez-vous tout à l’heure ? »
Oui, bien sûr. Il y avait des caméras et des microphones partout. « Nous étions ensemble dans la file, alors nous avons parlé. » « Et où vous rendez-vous ? », « Juste à Jérusalem ? » « Où descendez-vous ? » « A qui rendez-vous visite ? » « Comment s’appellent-ils ? » « Leurs numéros de téléphone ? » « Répétez le numéro 456 ? » « Encore une fois. » «Remplissez ce formulaire ». « On viendra vous chercher. »
Je remplis le formulaire. Ignorant ses instructions, je reviens la voir : « voici, c’est terminé. » « Non, vous devez vous asseoir et patienter là. »
Je m’assois, je patiente.
Dix minutes plus tard. Un homme s’approche de moi. Il a les traits sérieux ; il essaie de paraître amical. « Quel est le motif de votre visite ? » « Est-ce le premier voyage ? » « Seule ? » « Où habitez-vous ? » « A qui rendez-vous visite ? »
· La maison de mon beau père.
« Oui, seule et vous allez chez votre beau-père ? » Je réfléchis : y a-t-il une loi qui interdit de se rendre chez son beau-père sans être accompagnée par le mari ou est-ce une sottise que d’entreprendre une telle visite ? « Donc, vous allez seule chez votre beau-père ». « Oui ». « Où est votre mari ? » « Bien. Attendez ici ».
J’attends.
Dix minutes plus tard. « Que faites-vous dans la vie ? » « Est-ce votre société ? » « Où habitez-vous ? » « Depuis quand ? » « Est-ce bien votre email ? » « Epelez l’adresse. » « Bien. Attendez ici. »
Dix minutes plus tard. Une fonctionnaire s’approche de moi. C’est elle qui organise la file des arrivants. Venez avec moi, ordonna-t-elle. – On m’a demandé d’attendre ici. –Non venez avec moi. – Peut-être qu’il va revenir et il ne va pas me retrouver ici. Elle a commencé à perdre ses nerfs. C’est mon travail et je sais ce que je fais. Venez avec moi. Je l’ai suivie. Elle m’a conduite dans une grande salle où il y avait de nombreuses chaises. Il y avait des personnes assises, d’autres debout. Ils étaient tendus et ils attendaient.
Attendez ici, demanda-t-elle.
J’attends.
Je sors la laine et les aiguilles de mon sac à main. Je me mets à faire du crochet. Je n’ai rien à cacher, mais je suis stressée. Le tricot m’aide à paraître insoucieuse et calme. Sûr que mes parents et mes proches commencent à s’inquiéter.
J’attends, je m’occupe à faire du crochet.
Dix minutes plus tard. L’homme revient vers moi. « Comment s’appelle votre mari ? ». « Connaissez-vous le nom de son père ? » « Quand est-ce qu’il est né ? ». – « son père ? ai-je demandé avec malice. » - « Non, non, votre mari. » « Est-ce qu’il vivait à Jérusalem ? » « Très bien, attendez ici. »
J’attends, je m’occupe à faire du crochet.
Dix. Vingt minutes.
« Fawdha ! 1» On dirait que c’est moi que l’officier du service d’émigration appelle. Oui, oui ai-je répondu. Fawdha c’est moi. Je me dirige vers la sortie. Je passe près d’un vieux Palestinien qui attend de terminer les formalités d’entrée. Je lui demande où se trouve la sortie. De l’index, il me désigna la sortie à près de deux mètres de lui en murmurant : Puisse Dieu vous protéger, ma fille. Puisse-t-il vous guider et vous assister.
Je franchis une barrière en plastique. Je suis arrivée. Voici Jérusalem. C’est une journée chaude et poussiéreuse. Il est six heures et demie de l’après-midi. Je balance mon sac derrière moi et donne libre cours à mes larmes.
Le tourisme n’est pas un choix
On ne peut pas venir à Jérusalem les yeux, l’esprit ou le cœur fermés, sinon il vaut mieux se rendre en Grèce. Ici, à Jérusalem, il y a des murs, des murs énormes au vrai sens du mot. Des murs énormes qui séparent, isolent, emprisonnent, créent un nouveau statu quo dans la vie des Palestiniens, instable et changeant. Oui, oui, le mur. On connaît l’histoire, sauf que ce n’est pas un mur mais des murs dont on ne comprend combien ils imposent leur présence que dès lors qu’on s’est tenu en dessous, devant, dès lors qu’on les a touchés, fleurés, vus d’en haut et d’en bas. Des murs énormes, illégaux selon la loi internationale.
A peine descendue du car des tournées politiques, je me suis trouvée face à l’un de ces murs. Le voici. Un haut mur, en béton, étouffant, empoignant les quartiers et les villages. Il est surmonté de fils barbelés qui percent le ciel et qui vous brûlent les poignées comme des menottes. Si l’on se réveille un jour et qu’on se trouve à l’intérieur du mur, on doit y rester. On découvre alors qu’on a besoin d’autorisations du gouvernement israélien, des autorisations difficiles à obtenir. L’on mène alors une vie dominée par un béton implanté de force sur notre terre, celle de nos aïeux, sur une terre que la plus grande majorité de l’humanité considère comme sacrée.
Il y a aussi les murs qui entourent les camps des réfugiés palestiniens, par exemple celui de Shuafat. Ce sont des camps en Palestine où vivent des réfugiés palestiniens. Ils sont au nombre de dix-neuf à peu près. Oui, dix-neuf. Dans sa marche implacable, le mur peut devenir une partie de votre maison même. Si votre maison se trouve sur son parcours, le gouvernement israélien vous offre généreusement deux possibilités : soit que vous détruisiez, à vos propres frais, votre maison qui est souvent celle de la famille depuis des lustres, soit que votre maison devienne une partie du mur avec des grilles sur les fenêtres à jamais fermées. Votre voisin se retrouve soudain plus loin que la surface de la lune. Votre lot peut être pire… Il m’est arrivé de visiter Oum Nabil et Oum Mahmoud. La première est âgée, la seconde d’un âge mûr. Elles passent le plus clair de leurs journées assises sur des chaises en plastique blanches dans la cour derrière l’entrée, entourées de leurs amies. Ces femmes s’assoient avec, derrière elles, une petite maison à un étage et devant elles une maison à deux étages. La maison de derrière appartenait à la famille de Oum Nabil, la maison de devant à celle de Oum Mahmoud. Du trottoir où je me trouvais, j’ai pu apercevoir au premier étage deux enfants entre quatre et cinq ans. Leurs pieds se balançaient à travers les grilles de la fenêtre. Une voiture s’engouffra dans la rue et s’arrêta devant l’entrée de la maison. Deux Israéliens descendirent. Ils nous ignorèrent. Ils parlèrent puis se saluèrent. L’un d’eux entra dans la maison d’Oum Mahmoud, réquisitionnée par le gouvernement israélien pour être donnée à une famille juive venue d’Europe, d’une lignée qui, vraisemblablement, n’avait aucune attache historique ou morale avec la Palestine et encore moins avec ce quartier, cette avenue, cette maison.
Je serai là où j’étais
C’est comme si je me promenais en deux endroits en même temps. J’ai le sentiment que tout est normal et en même temps que tout est absolument anormal.
Inspiration : j’entends un accent palestinien familier.
Expiration : je vois des appelés israéliens, ce sont des adolescents qui se promènent avec leurs mitraillettes dans les rues et les places publiques et qui sont en faction devant les mosquées.
Inspiration : je vois un enseignant palestinien entouré de ses petits élèves, il leur parle de l’histoire de la ville antique de Jérusalem.
Expiration : je vois un enseignant israélien entouré de ses petits élèves. Je ne sais pas de quoi il leur parle, mais à considérer ce que disent les agences touristiques israéliennes sur Internet, il doit leur raconter la version israélienne de l’histoire de la ville.
Inspiration : moi, la Palestinienne, je parcours ces rues comme une étrangère.
Expiration : eux, qui sont étrangers à ces rues, y sont implantés comme s’ils étaient les habitants originels.
Inspiration : j’ai été pillée.
Expiration : j’ai été pillée.
Je suis née dans un pays. Je suis allée continuellement d’un pays à un autre. J’ai voulu me fourrer dans le moule de diverses identités nationales. Elles m’ont assez bien accueillie, mais elles ont crée en moi un sentiment d’appartenance contradictoire. Je n’avais pas à gaspiller la plus grande part de ma vie à chercher une identité ou une appartenance qui m’accepterait. Mon identité aurait dû être une chose allant de soi, comme pour n’importe quelle personne d’autre.
J’aurais dû naître ici. Respirer cet air qui porte la mémoire de mes ancêtres et leurs secrets. Faire mes premiers pas sur ce sol dont les oliviers se nourrissent de leurs dépouilles. J’aurais dû avoir une enfance normale, ici. Cette terre aurait dû être mon terrain de jeu. Ces rochers auraient dû écorcher les genoux de l’enfant terrible que j’étais.
La source de mes souvenirs avec mon amie intime aurait dû jaillir ici.
J’aurais dû avoir mon premier baiser ici.
C’est ici que mon cœur aurait dû se briser pour la première fois.
Me voici palestinienne
Je suis née. Et je me suis trouvée palestinienne. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai tâtonné pour trouver mon chemin grâce aux débris du mot « palestinien ». Ce qui m’a toujours fait le plus peur dans mes voyages, c’est la question de mon appartenance.
J’ai pleuré en arrivant à Jérusalem. J’ai pleuré en visitant Naplouse.
J’ai pleuré à la mosquée du dôme du Rocher, à l’église de la Nativité, au monastère de Puits de Jacob.
J’ai pleuré aux points de passage et près des trous dans les murs.
J’ai ramené avec moi une poignée de terre de Jaffa et j’ai gravé mon nom sur le sable. Je me suis promenée à Ramallah sous la pluie…
Je me suis laissée aller à tous les clichés dans ma quête, ma quête d’une appartenance qui voudrait bien de moi.
Mais mon appartenance, je l’ai trouvée ailleurs.
Elle n’est pas sur terre ni dans le sol, car cela demanderait beaucoup de temps, des souvenirs, une histoire personnelle vécue de manière directe que je m’emploierai à construire pierre par pierre, l’âme nue.
Mon appartenance m’attend patiemment depuis que je suis née. Elle attend que je parvienne jusqu’à elle, que je la voie, elle qui irradie dans les yeux des gens de ce pays et de cette terre.
Elle est dans l’accueil chaleureux de ma belle-famille. L’affection de mes cousines. L’accueil de mes grand-tantes maternelle et paternelle et de mes petits cousins. Le chauffeur de bus Abou Samir. Le chauffeur de taxi, Fadi. Les murmures du vieil homme qui m’a protégée par ses prières quand on m’a permis d’entrer à Jérusalem. L’homme qui s’est enquis de moi quand il m’a vue pleurer à la sortie du point de passage. Dans la rencontre plus qu’extraordinaire avec les écrivains, les critiques, les intellectuels, les lecteurs et les merveilleux libraires de Jérusalem Est, dans l’intelligence de l’entretien et dans la transparente profondeur des questions.
Elle est dans le bracelet en bambou aux couleurs palestiniennes dont le propriétaire m’a fait cadeau car il a vu qu’il me plaisait.
Vous êtes la plus belle appartenance. Mon amour pour vous est mon appartenance. Je suis née de l’incandescence de votre humanité à tous pour me trouver palestinienne. Mais aujourd’hui, j’ai choisi d’être palestinienne.
(Merci a Jalel El Gharbi for the translation)
Photos: Fadwa Al Qasem
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